LAISSER POURRIR UNE SITUATION HUMAINE : LE PRIX DE L’INACTION

Certains dirigeants croient sécuriser leur business en ne se séparant pas de salariés qui posent problème. Ils font avec, les changent de service lorsqu’il n’est plus possible de les maintenir dans leur poste actuel, font des compromis en espérant que la situation, à défaut de s’arranger, ne dégénère pas. La peur de ne pas pouvoir motiver le licenciement et de s’exposer à une condamnation prud’homale les pousse à cet attentisme.

En réalité, en laissant perdurer de telles situations, non seulement ils n’éviteront pas le contentieux demain, mais ils créent une souffrance au travail autrement plus dévastatrice.

J’en veux pour preuve l’histoire de Nadine et Pierre (dont les prénoms et l’histoire ont évidemment été modifiés pour des raisons de confidentialité).

Nadine est salariée dans une entreprise de 200 salariés. Sa prestation n’a jamais donné satisfaction. Des motifs de licenciement auraient pu être invoqués mais les insuffisances n’ont jamais été tracées, les soupçons jamais investigués. Ses managers ont préféré passer la main : en 10 ans, elle a changé 3 fois de service et de responsable.

Pierre, au contraire, a réalisé un parcours sans faute. Reconnu pour sa technicité autant que pour ses compétences managériales, il est aujourd’hui le bras droit du président. Il hérite de Nadine dans son service. Après un an et demi d’arrêt maladie, elle revient avec des aménagements de poste contraignants et voit le médecin du travail régulièrement. Par ses maladresses relationnelles et ses insuffisances professionnelles, elle déroute ses collègues et sa responsable directe. Pour pouvoir tenir les échéances, cette dernière est obligée de reprendre son travail.

Pierre s’en ouvre à son président et lui demande de licencier Nadine. Le président estime que le dossier n’est pas suffisamment étayé. Il craint d’être taxé de discrimination à raison de l’état de santé de la salariée. Il pense que le risque prud’homal est trop grand. Il demande donc à Pierre de « gérer » et pour cela, de mieux cadrer Nadine.

Au bout de quelques mois, la responsable directe est au bord de l’épuisement malgré le soutien de Pierre. Le reste de l’équipe est également sous tension. De son côté, Nadine ne comprend pas que ses tâches soient confiées à d’autres et vit mal les recadrages de Pierre. Elle n’hésite d’ailleurs pas à s’en plaindre au président, qui lui ouvre grand sa porte.

Nadine finit par accuser Pierre de harcèlement moral. Le président diligente alors une enquête. Pierre est déstabilisé par cet enchaînement. L’enquête mobilise pas moins de 20 salariés et reçoit une large publicité. Les investigations durent deux mois pendant lesquels le président refuse de parler à Pierre par souci d’impartialité. Totalement isolé, décrédibilisé, il finit par craquer et sombre dans la dépression. La commission d’enquête conclut à l’absence de harcèlement mais estime que Pierre a eu un management déficient qui a mis à mal son équipe. Le président s’aligne sur ces conclusions et licencie Pierre pour faute grave.

D’un point de vue humain, quel gâchis ! Pierre n’est désormais plus que le fantôme de lui-même. Un an après les faits, il est toujours sous médication lourde et incapable de retravailler, encore moins à un poste de direction. Son burnout a été reconnu comme maladie professionnelle, ce qui ouvre la voie à une indemnisation conséquente de la part de l’entreprise. Nadine a fini par négocier son départ tandis que le reste du service a quitté l’entreprise.

Bilan des courses, le service de Pierre est décimé, l’entreprise a perdu plusieurs collaborateurs de valeur à un moment clé de son développement, elle doit affronter non pas un mais plusieurs contentieux prud’homaux et la reconnaissance de maladie professionnelle impactera son taux de cotisation ATMP et donc le niveau de ses charges sociales. Enfin, elle laisse sur le carreau les principaux protagonistes, qui mettront des années à s’en remettre.

Dans certaines situations, la prise d’un risque immédiat est en réalité le seul moyen de circonscrire le risque. Lorsque la relation humaine et professionnelle est trop abîmée, il vaut mieux couper le lien contractuel le plus rapidement possible et provisionner le risque prud’homal, d’autant qu’un avocat expérimenté sera capable de chiffrer les condamnations encourues avec une relative précision. Il faut également admettre que la non gestion des problèmes humains a un prix dont l’entreprise devra s’acquitter tôt ou tard, d’une façon ou d’une autre.

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